La quatrième licence 3G pour Free ?

Malgré l’intense lobbying du triumvirat mobile, l’agitateur du Net français, Free, est le seul candidat à une quatrième licence de téléphonie mobile. Avec une promesse à faire trembler ses concurrents : diviser par deux la facture des abonnés. Comme prévu, le 29 octobre avant midi ont été livré au siège de l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep), les dizaines de milliers de pages détaillant le plan d’affaires, le financement, les spécifications techniques, les projets d’offres commerciales… de la candidature d’Iliad-Free à la quatrième licence de téléphonie mobile en France, l’unique candidat. Les autres ont tous jeté l’éponge, Bolloré, Orascom et le tandem Numericable-Virgin Mobile.
Iliad Free

Retour sur les faits

Xavier Niel, fondateur et propriétaire d’Iliad-Free, aura joué les paranoïaques face au lobbying intensif d’Orange, SFR (Vivendi) et Bouygues Telecom, racontant sa peur que le camion contenant les documents soit détourné. Il faut dire que l’objectif des trois grands du mobile était simple : saborder la quatrième licence, ou au pire, faire en sorte que cela soit un petit camarade qu’ils connaissent bien afin de préserver ce juteux oligopole. Mais c’était sans compter sur la détermination de Free, inventeur de la box, du triple play et de son abonnement bas prix qui a obligé la concurrence à suivre.
Le plan « Tout Sauf Free » a échoué malgré la volonté du triumvirat français. Martin Bouygues, qui a le plus à perdre dans l’affaire selon les analystes, a pourtant mené un combat enragé sur le front politique, n’hésitant pas à contacter directement son ami Nicolas Sarkozy. Et il était proche de la victoire. Fin 2007, quand il a fallu que le gouvernement réaménage le prix et les conditions de la licence, l’Elysée a gelé le dossier. Heureusement pour nous consommateur. L’Autorité de régulation des télécoms, le Conseil de la concurrence, la Commission européenne ont continué à réclamer l’arrivée d’un nouvel entrant. A Bercy, Christine Lagarde, Eric Woerth, Hervé Novelli et Luc Chatel étaient pour, au nom du principe de libre concurrence.
A l’Elysée, rebelote, Claude Guéant, l’ex-secrétaire général adjoint François Pérol comme l’actuel, Xavier Musca, militaient en sa faveur. Le dernier coup d’épée appartient à Matignon, François Fillon sauve l’affaire, en janvier dernier, décidant de la division de la licence en trois lots de fréquences, dont un réservé à un nouvel entrant pour 240 millions d’euros. Matignon et Bercy ont publié la décision au journal officiel le samedi 1er août tandis qu’un mois plus tard, Nicolas Sarkozy s’est déclaré « sceptique sur le choix du quatrième opérateur ». Mais la procédure est désormais entre les seules mains de l’Arcep et de son président Jean-Ludovic Silicani.

La bande des trois tente de sauver ce qu’ils peuvent

Didier Lombard (Orange), Jean-Bernard Lévy (Vivendi-SFR) et Martin Bouygues ont soigné leur argumentaire estimant qu’un quatrième opérateur ne pourrait pas casser les prix déjà très bas (en réalité les prix sont très élevés dixit la Commission Européenne), de plus, cette concurrence créerait de la casse sociale (oh la jolie menace, comme s’ils avaient besoin de Free pour licencier), et elle ne profiterait qu’aux équipementiers chinois.
Free ne s’est pas laissé intimidé et a annoncé avec force son pari : diviser par deux la facture de mobile d’un foyer français. Et ce n’est pas en déconseillant aux banques de prêter à Iliad, en tentant d’accaparer tous les numéros commençant par 06, ou en essayant de débaucher les ingénieurs de ceux qui « ont tout compris » que les trois ogres pouvaient espérer gagner.
Dans un ultime effort, ils ont alors utilisé ce qui serait leur dernière cartouche : la guerre juridique. Orange a porté plainte en août devant la Commission européenne pour contester le prix de la licence, et Bouygues a suivi le pas en septembre auprès du Conseil d’Etat. SFR, qui ne s’est jamais trop mouillé dans l’affaire, s’est joint aux deux procédures. Mais les chances de torpiller Free sont faibles. La Commission européenne a soutenu en République tchèque, l’attribution d’une troisième licence 3G moitié moins chère que les deux premières, estimant que le marché avait changé. D’ailleurs, l’histoire étant un éternel recommencement, l’opérateur Bouygues Telecom a lui aussi eu droit à un traitement de faveur lors de son entrée en nouveau « cadet du mobile ». Enfin, faut-il le rappeler, la somme totale pour obtenir une licence complète 3G (15 MHz) est supérieure à celle qu’ont eu à payer n’importe quel des trois opérateurs actuels. Le Conseil d’Etat a quant à lui, déjà été consulté par le gouvernement sur le prix, qu’il a approuvé.

Oui Rodolphe, comme Free, tu la veux cette quatrième licence 3G.
Oui Rodolphe, comme Free, tu la veux cette quatrième licence 3G.

Les risques pour Free

Free est toujours dans la course et est même seul en piste. Si Rodolphe n’a plus à craindre des messe basses du triumvirat, il existe certains risques dans cette quatrième licence 3G. Le problème n’est pas financier : Iliad-Free possède un taux d’endettement relativement faible, dispose de 800 millions d’euros mobilisables, et devrait dégager plus de 250 millions de free cash flow (trésorerie disponible) de ses activités ADSL cette année et plus de 300 millions en 2010. Largement de quoi financer son projet qu’il estime à 1,29 milliard sur cinq ans. La question est plutôt de trouver un modèle économique viable sur un marché déjà saturé (91% des français ont un mobile) et bien verrouillé par les opérateurs (les trois quarts des clients sont liés pour un an voire deux par leur abonnement). Free, deuxième fournisseur d’accès Internet de France met en avant sa marque forte, un réseau fixe, et surtout une base de plus de 4 millions de foyers clients pour 10 millions d’utilisateurs.
Cependant, Pierre Danon, PDG de Numericable, et Geoffroy Roux de Bézieux, PDG de Virgin Mobile France, ont justifié leur désistement en assurant que « l’appel à candidatures n’est pas exploitable économiquement ». Critiquant notamment la difficulté à installer des antennes, dont le rayonnement inquiète de plus en plus les riverains, les longues négociations avec les syndics, et la hausse des loyers des antennes relais. L’Arcep qui exige une couverture de 25% de la population en 3G d’ici deux ans par le nouvel entrant oblige à aller vite. Les deux opérateurs n’étaient pas non plus confiants au sujet du contrat que le nouvel entrant devra signer avec l’un des trois opérateurs pour acheminer ses appels le temps qu’il déploie son propre réseau.
Iliad-Free fustige ces réticences. L’accord de location avec un opérateur est déjà en bonne voie, et Xavier Niel saura trouver l’aide où il faut si les conditions commerciales de cette quatrième licence ne sont pas suffisamment attrayantes. L’installation de ses 2 000 antennes relais nécessaires pour couvrir 25% du territoire ne devrait pas être un problème à court terme, EDF et la SNCF ont suffisamment de lieux disponibles pour les installer toutes.

Les ambitions d’Iliad-Free

Iliad ne se contentera pas d’une telle couverture et, à terme, c’est les 12 000 antennes relais d’un réseau national que la société compte bien viser. Misant tout sur leurs capacités à innover dans les secteurs où ils pénètrent et encore une fois, c’est par la technologie que Free espère voir son salut. Pour réduire ses frais de fonctionnement, le futur quatrième opérateur souhaite bâtir un réseau entièrement sous protocole Internet (IP). Notamment en connectant son réseau mobile à son réseau fixe et éventuellement en incluant des antennes mobiles dans ses Freebox de prochaine génération, afin d’améliorer la réception et les débits à domicile.
Les promesses quant aux offres mobiles sont alléchantes, Xavier Niel a laissé entendre qu’il proposerait une formule tout illimité (voix-SMS-Internet), entre 25 et 40 euros, prix qui viendrait titiller les abonnements les moins chers.
La balle est désormais dans le camp de l’Arcep qui a annoncé hier que le dossier d’Iliad-Free était complet et qu’elle aurait examiné le dossier avant Noël. Si tout va bien, le réseau mobile de Free commencera son déploiement à partir du deuxième semestre 2010.