Hadopi en sept réflexions

Si vous ne restez pas planqué toute l’année dans une grotte, vous savez certainement que l’Assemblée Nationale a examiné la loi Hadopi 2 (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet). Nous connaîtrons le fin mot de l’histoire à la rentrée en septembre lors d’un vote solennel à l’Assemblée Nationale et de la convocation d’une commission mixte paritaire afin de gommer les divergences entre le Sénat et l’Assemblée. Enfin, on devrait avoir droit au Conseil Constitutionnel. Quand nous en parlons autour de nous, nous nous apercevons d’une chose, ils sont peu nombreux les internautes (et les autres !) à avoir réellement conscience du problème. Si la rémunération des artistes est un juste retour des choses pour leur travail, Hadopi 2 ne viendra pas résoudre le problème. La faute à ses nombreuses failles et incohérences. Retour sur le contenu général du texte.

Hadopi

Le marathon législatif terminé.

Comme pour Hadopi 1, les députés pouvaient s’allonger sur toute une rangée de sièges sans déranger quiconque. Néanmoins, Hadopi 2 a été examinée et approuvée, cette loi prévoit :

  • Ce sont les ayants droit qui dénonceront et les agents de l’Hadopi, autorité administrative, auront des prérogatives de police judiciaire pour transmettre les dossiers au parquet.
  • Le téléchargement illégal réalisé sur Internet est passible au maximum d’un an de suspension de l’abonnement à Internet, d’une peine de trois ans d’emprisonnement, de 300000 euros d’amende et enfin, du paiement de dommages et intérêts.
  • La non sécurisation de son accès Internet et si cet accès est utilisé par un tiers pour télécharger illégalement, est passible d’une contravention de 3750 euros pour négligence caractérisée et d’une peine d’un mois de suspension de l’accès Internet.
  • Le seul élément de preuve est le logiciel de sécurisation du gouvernement qui surveillera vos mouvements sur Internet.
  • 10000 titres et 1000 films seront surveillés, la liste sera tenue secrète et mise à jour au fur et à mesure des sorties.
  • C’est au juge de trouver l’équilibre entre protection des droits d’auteur et ceux des internautes lorsqu’ils prononceront la suspension de l’accès à Internet.
  • Les éléments essentiels sont dits, il convient d’ajouter que cette loi a pour but de protéger les artistes en limitant le téléchargement illégal. Si nous voulons progresser, il faut bien commencer et le gourvernement a décidé de commencer par Hadopi.


    Dominique A. parle de ses revenus d’artistes

    10000 titres et 1000 films seulement…

    Cette loi qui se veut le dernier rempart à la contrefaçon aussi bien pour les grands artistes que les petits qui triment pour réussir a des défauts. Alors que le store FNAC se vante de proposer plus de 750000 titres (et nous sommes encore loin du nombre de titres total), dire que ces 10000 titres surveillés ne représentent qu’une goutte d’eau, il n’y a qu’un pas que nous vous laisserons franchir. Il n’empêche que nous voudrions bien savoir comment le choix se fera, le fameux petit artiste qui est en train de mourir dans les rues sera-t-il protégé avec Hadopi ? Du moins autant que la discographie complète de Johnny Hallyday (500 titres). Nous nous souvenons de la liste des 10000 signataires qui soutiennent Hadopi. Effectivement, si l’on sait qu’une partie d’entre eux sont en réalité décédés et d’autres ne sont que des employés des Majors (lien). Avec 10000 artistes soutenant la loi, et 10000 titres protégés, si nos calculs sont bons, cela ne fait qu’un titre par artiste.

    Hadopi
    source

    Parlons des 1000 films protégés. Etant donné qu’un film a besoin d’un budget bien plus important qu’un album de 12 titres, il est logique qu’il y en ait moins. Le Centre National de la Cinématographie peut donc sortir des chiffres précis facilement. Avec plus de 550 films qui sortent chaque année en France, il faudra moins de deux ans avant qu’un film perde sa protection contre le téléchargement. Selon la chronologie française des médias, le film n’aura pas encore été diffusé à la télévision non cryptée et gratuite qu’il pourra être piraté sans surveillance. Mais soyons rassuré, ce n’est pas parce que le gouvernement le dit, que nous désertons vraiment les salles obscures. (lien)

    Des ayants droit pour nous accuser tous.

    L’adresse IP devra jouer le rôle tragique de la preuve. En début d’année, le tribunal de Guingamp a estimé dans une autre affaire que l’adresse IP ne pouvait suffire à établir la culpabilité d’un internaute. Et pour cause, que se passe-t-il si la box de votre fournisseur d’accès à Internet est piratée par un internaute et utilise votre connexion pour télécharger illégalement. C’est vous qui êtes vu. En effet, l’adresse IP s’arrête là où commence la connexion Internet d’un foyer. C’est-à-dire, au niveau du routeur, Livebox, Freebox pour donner des noms qui parlent aux néophytes. Cela signifie que plusieurs ordinateurs peuvent être connectés et pourtant, ne former qu’un sur Internet. A quel titre, un ayant droit pourra-t-il accuser untel plutôt qu’un autre membre de la famille ? C’est un foyer que l’on accuse, c’est un foyer que l’on condamne. Qui devra supporter la peine de prison si peine il y a ? Le bon père de famille, malheureuse victime de son fils Kévin, 14 ans, qui a téléchargé le premier et dernier album de Cindy Sanders. Pourra-t-il se retourner contre son propre fils ? Rassure-toi Kévin, ton gentil papa qui te donne le gîte et le couvert ne pourra rien faire contre toi.

    Un logiciel pour nous innocenter tous.

    A ces « défauts d’usage » de cette loi Hadopi 2, le gouvernement a eu l’idée d’un logiciel de surveillance. Surveillant nos téléchargements sur Internet afin de savoir s’ils sont légaux ou non. Il sera payant et non interopérable, exit nos amis linuxiens.
    Vulgairement parlant, il s’agirait pour le logiciel de connaître les 10000 titres et les 1000 films qu’il doit protéger et vérifier que nous ne les téléchargeons pas. Malheureusement, le gouvernement lui-même ne sait pas encore comment il sera mis en place, directement intégré au routeur, ou installé sur un ordinateur. Dans le premier cas, on peut d’ores et déjà penser que les modem/routeurs n’appartenant pas aux FAI seront oubliés comme ce Netgear. Dans le second cas, tous les pc connectés ne seront pas obligatoirement surveillés, de plus, nous n’avons jamais connu un logiciel invincible à tous les piratages.


    Cali a retourné sa veste pour être contre Hadopi

    Une pédagogie au coût exorbitant pour le condamné.

    L’accusé pourra être condamné pour deux raisons distinctes, d’un côté, s’il n’a pas correctement sécurisé sa ligne mais qu’il a pu prouver qu’il n’avait rien téléchargé. Cette première personne devra donc payer une amende de 3750€ soit deux SMIC complets. Le gouvernement doit imaginer qu’il ne s’agit que d’une paille pour la majorité des foyers français. Tout ça parce qu’il n’aura pas su protéger sa connexion Internet, à l’instar du préservatif qui peut éclater, la protection WEP ou WPA de votre box peut s’écrouler face à un pirate averti. A vous de devenir aussi compétent que lui dans le domaine afin de protéger au mieux votre réseau WiFi, ou bien, d’un pas résigné, vous tourner vers votre box et désactiver votre WiFi.
    Le second cas concerne celui qui a téléchargé. L’individu encourt une peine plus importante que le coupable d’un vol. Or, si votre meilleure amie vous vole le dernier album de Carla Bruni, elle vous prive de votre propriété et vous empêche d’en profiter. Si votre meilleure amie télécharge le dernier album de Carla Bruni, elle ne prive personne de sa propriété. En allant plus loin dans le sujet, quand, pour éviter que votre meilleure amie ne vous vole votre album, vous décidez de le lui graver, vous vous rendez vous-même coupable de contrefaçon. Sous le ton de la rigolade, il est juridiquement moins risqué pour vous deux, que l’acheteuse extrait son album sur son PC et que son amie lui vole l’album !

    Le juge décidera pour Hadopi.

    Pour répondre à notre précédente question, Hadopi a trouvé l’astuce, c’est au juge de décider la hauteur de la peine. Il n’y a rien d’extravagant à cela mais habituellement, les preuves et la victime permettent de juger objectivement. Ici, le juge devra faire face à des preuves souvent maigres et à une victime artiste qui ne peut pas affirmer que le pirate aurait effectivement acheté son album s’il ne l’avait pas téléchargé illégalement. Le juge, connaissant encore l’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme à propos de la présomption d’innocence sera dans de beaux draps quand il devra déclarer la sentence.

    Une mauvaise réponse s’attaquant à la surface du problème.

    Hadopi a plusieurs trains de retard face aux pirates, prenons l’exemple de la musique, cela fait plusieurs années que les pirates se tournent vers des sites d’hébergement tel que Megaupload ou des sites plus ou moins underground, dont les protocoles http et ftp ne seront pas surveillés par Hadopi. Hadopi s’avère être une mauvaise réponse face à la suppression totale de piraterie culturelle sur le web.
    Nous ne voyons que la surface du problème, aux yeux de l’Hadopi, les artistes de la musique ou du cinéma sont les seules victimes. Les jeux vidéo ou les logiciels, les dessins et autres photographies, autant d’œuvres mises au placard. Hadopi se défend de toute affiliation aux majors en affirmant sa volonté de protéger tous les artistes. Force est de constater qu’avec seulement 10000 titres et 1000 films, nous sommes très loin d’une protection totale pour tous les artistes. On imagine aisément que l’on va « nationaliser » les victimes en ne protégeant que les artistes français, ou du moins, en protégeant majoritairement les français. Il est fort probable que les artistes appartiendront aux majors : Universal, EMI, Sony et Warner. Nous ne pouvons pas nier que les 50 meilleures ventes d’album en 2008 sont toutes issues de ces quatre sociétés. Nous ne pouvons pas nier non plus que les majors se partageaient en 2004 plus de 70% du marché mondial du disque en 2004. Derrière son air innocent, le gouvernement n’a pas compris que le vrai problème, c’est que tous les artistes peuvent être victimes sans exception.


    Jean-Pierre Georges (UMP) peut être contre la loi, cela ne l’a pas empêché de voter pour Hadopi

    Un vrai problème difficile à définir.

    Le téléchargement est un fait, les jeunes qui se battent pour savoir lequel a le plus de Giga-octets de musique est effectivement bien réel mais condamner un foyer entier ne les éduquera pas. Le piratage n’a rien d’une glorieuse activité mais il ne faut pas se tromper, un téléchargement ne remplace pas un achat et la mise en place d’Hadopi le prouvera. Le business model des majors qui comptent encore beaucoup trop sur leurs boîtes en plastique pour se faire de l’argent fait partie intégrante du problème. Aujourd’hui, un album en « dur » n’a plus aucune valeur ajoutée par rapport à un album « virtuel » si ce n’est une pochette, un dessin sur un CD, la qualité audio et la fameuse boîte plastique.
    Cela annonce l’autre problème de l’industrie du disque aujourd’hui. Si le marché du divertissement sur Internet ne perce pas, le téléchargement illégal n’est pas le seul coupable. En effet, les albums ne sont pas vendus dans un format sans perte équivalent à un CD sinon au format MP3 qui n’assure en rien une qualité audio optimale. Les prix sont absurdes. A titre d’exemple, prenons des artistes au hasard, l’album « Viva la vida or death and all his friends » de Coldplay coûte aussi cher en CD qu’en téléchargement (9,99€). Le « Triple best off » de Johnny Hallyday coûte 28€ en CD contre 19,99€ en téléchargement, un écart insuffisant pour justifier un téléchargement légal et enfin, le summum du ridicule, l’album « Des visages des figures » de Noir Désir, plus cher en téléchargement qu’en dur.
    Une partie de ceux qui téléchargent se servent d’Internet pour découvrir de nouveaux artistes, découvrir de nouvelles musiques, découvrir des albums oubliés d’artistes déjà anciens. Mais il est évident que tout ce qui est téléchargé ne plait pas à tous les coups et ne sera pas acheté. Certains albums sont introuvables aussi bien dans l’offre légale sur Internet qu’en boutique. La dernière solution est le piratage ou la résignation.

    Un vrai problème et une bonne réponse ?

    Cette loi n’aura qu’un effet, braquer définitivement les majors, convaincus de leur bon droit car soutenus sans limite par le gouvernement français. Mais aussi les internautes qui étaient ouvert à la discussion. La discussion, c’est ce qui a manqué à cette loi, aucun professionnel d’Internet n’a été consulté ne serait-ce que pour les conditions techniques de cette loi. Le maigre espoir que j’ai pour eux, c’est qu’effectivement, les jeunes qui téléchargent à tout va, tout et n’importe quoi juste pour avoir la discographie la plus naze de France arrêteront. Mais pour cela, il était inutile de coller une amende disproportionnée sur la famille, ne serait-ce que 500€ et la pillule fait déjà mal.
    La pire chose qui puisse arriver pour le gouvernement, c’est que les réseaux anonymes émergent réellement et il n’y a pas que le pirate lambda qui veut avoir la dernière chanson de « Mozart l’Opéra Rock » qui en profitera sinon les pédophiles et autres cybercriminels.
    Il est certain qu’il faut lutter contre le piratage comme il faut lutter contre le vol ou toute autre forme d’infractions. Mais une seule réponse au problème ne suffira pas, seul l’effort commun de l’industrie du divertissement, du gouvernement, des techniciens d’Internet et des internautes eux-mêmes réduira le piratage drastiquement. La mise en place d’Hadopi ne fera pas gagner davantage d’argent à l’industrie du divertissement, elle ne réduira pas les coûts non plus faute d’une virtualisation de la contrefaçon. L’industrie du divertissement va avoir du pain sur la planche pour ouvrir un marché sur Internet qui soit vraiment viable autant pour eux que pour les consommateurs.

    Remerciements :

  • À Erwan18 pour son aide
  • Aux lecteurs qui viendront compléter ou simplement commenter ce dossier